lundi 26 mars 2012

Harcèlement moral : le management en prend pour son grade

Harcèlement moral : le management en prend pour son grade

L'accord sur le harcèlement et la violence au travail a été publié le 31 juillet au " Journal officiel". Il reconnait le harcèlement managérial comme une des causes de la souffrance des salariés.

publié le 26/11/2009


Le harcèlement et la violence au travail sont désormais officiellement reconnus. La publication de l'arrêt d'extension de l'accord du 26 mars dernier est paru samedi 31 juillet au "Journal officiel". Le texte s'applique ainsi à toutes les entreprises, adhérentes ou non d'une organisation patronale. Guide de bonnes pratiques plus préventives que restrictives, l'accord met en avant la nécessité de lutter contre les abus, les menaces ou les humiliations que certains salariés peuvent subir au travail et fait référence à la responsabilité de certaines modes de management. Cet arrêt permet aux salariés de demander une procédure de médiation et bénéficier d'un accompagnement psychologique et juridique.

En novembre 2009, un arrêt de la Cour de Cassation reconnaissait déjà que le harcèlement moral pouvait être dû à des méthodes de management relevant de l'employeur, et s'appliquant à tout le personnel. Il faisait lui même suite à un arrêt rendu le 8 octobre 2007 par la Cour d'Appel de Grenoble (Chambre sociale) et à un accord-cadre européen de décembre 2006.

Ce texte est une petite bombe qui, mine de rien, va être lu de très près par les avocats spécialisés ? et les DRH - en matière de harcèlement moral. Une pratique remise en lumière par la vague de suicides chez France Telecom, avec les conséquences chez les salariés de méthodes de management trop musclées.

La Cour avait défini le harcèlement moral comme des « méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique », qui se manifestent, à l'encontre d'un salarié déterminé, « par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Mode de management pointé par la Cour

En clair ? et c'est là la nouveauté ? en évoquant des « méthodes de gestion », la Cour avait reconnu pour la première fois, dans cet arrêt de novembre 2009, qu'un mode de management ? donc des règles s'appliquant à l'ensemble des salariés ? peut être à l'origine du harcèlement moral. « Le directeur de l'établissement soumettait les salariés à une pression continuelle, des reproches incessants, des ordres et contre-ordres dans l'intention de diviser l'équipe (?) », précise l'arrêt.

Qui plus est, cette nouvelle jurisprudence ajoute une nouvelle pièce à l'édifice des tenants d'une reconnaissance du « harcèlement organisationnel », décidé à la tête d'une entreprise. « Dans cet arrêt du 19 novembre, c'est une personne, le directeur de l'établissement, qui est pointé. Certes, ce n'est pas la direction générale d'un groupe. Mais il est dit qu'il "soumettait les salariés", et pas une seule personne », analyse Philippe Ravisy, avocat spécialisé en droit social.

La nouveauté étant donc que ce n'est plus une relation interpersonnelle qui est condamnée, mais une relation entre un responsable et son équipe.

Contexte de précisions autour du harcèlement moral

En fait, cette nouvelle jurisprudence arrive dans un contexte de remise à jour du harcèlement moral. « On a connu un grand vide sur le sujet entre 2002 et 2008, où l'on disposait pour seul argument d'une exécution de mauvaise foi du contrat de travail » », pointe Philippe Ravisy.

Quelques années après l'entrée, en 2001, du harcèlement moral dans le code du Travail, la loi n°2008-67 du 21 janvier 2008 formalisait ? enfin ? la notion de harcèlement moral. Ensuite, par quatre arrêts rendus le 24 septembre 2008, la Cour réaffirmait sa reprise en main du sujet, quant à exercer à nouveau un contrôle de qualification du harcèlement moral.

Preuve que la haute juridiction veut formaliser juridiquement la notion de harcèlement moral. Un autre arrêt publié le 10 novembre s'est ajouté à cette construction : il reprécise la définition du harcèlement moral, en rajoutant qu'il n'y a pas besoin d'une intention de nuire de l'auteur des faits pour qu'un harcèlement moral soit reconnu.



mercredi 14 mars 2012

La santé du dirigeant, premier capital de la PME



Olivier Torrès vient de créer Amarok, l'observatoire de la santé des dirigeants de PME. Une initiative très attendue, au moment où la crise éprouve particulièrement les petits patrons : stress, maladie, surmenage, suicide...

Quel est l'objectif d'Amarok ?

Olivier Torrès : Nous avons plus de statistiques sur la santé des baleines bleues que sur la santé des dirigeants de TPE et PME ! Il n'y a aucune obligation pour les indépendants de se présenter à la médecine du travail. En général, ils n'y vont pas. Ils préfèrent consulter leur médecin généraliste. D'où l'intérêt d'Amarok. Cet observatoire a été créé en janvier 2010 et dispose d'un bureau à Euromédecine, près des locaux de la médecine du travail de Montpellier.

En octobre 2010, nous présenterons un rapport sur la santé des patrons. Il sera réalisé à partir du questionnaire que nous lançons dès à présent pour recueillir les témoignages anonymes de 1 000 chefs d'entreprise, identifiés en collaboration avec les CCI, les chambres de métiers, le CJD (Centre des jeunes dirigeants)... Ce sera une première en France ! Par ailleurs, trois doctorantes travaillent à l'Amarok sur le burn-out (l'épuisement professionnel) et l'impact des problèmes financiers sur la santé du dirigeant.

La santé est-elle un sujet tabou dans l'entreprise ?
O.T. : En général, les chefs d'entreprise n'aiment pas parler de leurs problèmes de santé. Cela correspond à l'idéologie de notre époque qui fait l'apologie du leadership. Il faut être un battant, un gagnant qui éponge le stress de ses salariés. Cette posture narcissique de l'homme fort - ou de la femme forte - interdit toute forme de verbalisation de la souffrance. Le patron de PME est représenté comme celui qui domine ses salariés. Par voie de conséquence, il n'a pas droit à la souffrance. Le phénomène est amplifié par le fait qu'il y a des spécialistes de la souffrance des salariés, mais les cas d'étude concernent les employés des grandes entreprises.

D'un côté, nous avons des experts de la souffrance au travail qui sont sourds et, de l'autre, nous avons des chefs d'entreprise qui sont muets. Je suis le premier chercheur à avoir osé parler de la "souffrance patronale" et des journaux comme Libération ou L'Humanité n'ont pas hésité à m'interviewer.

Est-ce un signe de bonne santé de s'intéresser... à sa propre santé ?
O.T. : C'est un élément déterminant des bonnes pratiques de management. Un chef d'entreprise qui se préoccupe de sa santé sera attentif à celle de ses salariés et à leur bien-être. C'est la raison pour laquelle nous avons choisi le mot inuit amarok. Il signifie qu'une société doit protéger ceux qui la font vivre ; en l'occurrence les patrons des petites et moyennes entreprises. Rappelons qu'en France 97,6 % des entreprises sont des PME. Elles représentent deux emplois sur trois et contribuent à 60 % du PIB. Le capital santé du dirigeant est le premier capital immatériel de la PME. S'il tombe malade, c'est une catastrophe.

Ne minimise-t-on pas l'impact de la crise sur la santé des chefs d'entreprise ?
O.T. : Indéniablement. La crise est anxiogène pour les salariés, les cadres, les dirigeants. Les patrons de PME n'y échappent pas. Il y a davantage d'épuisement professionnel, de dépressions, voire de suicides chez les petits patrons. C'est la théorie des trois "D" : dépression, dépôt de bilan, divorce. A cela, le futur président du CJD, Michel Meunier, ajoute un quatrième "D" : le décès. Des drames se nouent dans l'anonymat le plus consternant. Un salarié met fin à ses jours à France Télécom, les médias en parlent.

Mais, quand un artisan se suicide, le journal local y consacre quelques lignes. A Frontignan, il y a quatre mois, un artisan électricien envoie sa femme négocier avec le banquier. Elle revient, elle le retrouve pendu. Ce drame a fait dix lignes dans le Midi libre. C'est considéré comme un fait divers alors que c'est un fait de société. A la fin de 2008, avant de se suicider, Joël Gamelin, patron des chantiers navals éponymes, a laissé sur son bureau ce mot révélateur : "Pardonnez-moi de ne pas avoir su sauver l'entreprise." Si sa fille n'avait pas fait de buzz, les journaux n'en auraient pas fait écho.


mardi 6 mars 2012

Stress au travail : l'étonnant statu quo

Des salariés heureux mais stressés pour les deux tiers. L'Entreprise dévoile en exclusivité les résultats du 16è baromètre stress de la CFE-CGC avec OpinionWay. Surprise, depuis huit ans, les résultats n'ont quasiment pas bougé. Les avis divergent : médecin et statisticien n'ont pas la même analyse.

publié le 07/06/2011

" Franchement, je m'attendais à pire ! ", explique Bernard Salengro, secrétaire national à la CFE-CGC chargé de la santé au travail, à l'analyse des résultats du 16ème baromètre sur le stress au travail, réalisé en mai 2011 (1), le premier datant de 2003. " Certains items s'améliorent. Une hirondelle fait-elle le printemps ? Oui. " Autre point de vue : celui de l'homme des statistiques, qui a diligenté l'enquête 2011, Laurent Bernelas, directeur de clientèle chez Opinion Way. " Le niveau de stress reste inchangé. Il est rare de voir des courbes sur huit ans, qui évoluent aussi peu. On n'est ni sur du stress massif, ni sur une catégorie de salariés sinistrés, pour autant le problème ne se résout pas. "

Heureux à leur job... Une première ! Le baromètre 2011 interroge sur le bonheur au travail. 80 % des sondés se déclarent heureux à leur poste. De surcroît, 60 % se disent motivés. Avec une nuance toutefois, plus on avance en ancienneté, moins on est heureux : seuls 76 % le sont après 20 ans de maison. " Mais il reste 20 % de cadres malheureux, pointe Laurent Bernelas. Ce n'est pas satisfaisant. "

...mais un stress évalué à 6,15. C'est la note moyenne attribuée par le panel sur l'échelle du ressenti du stress à leur poste, le chiffre 10 étant le pire. Une note identique à celle de 2003. Mais elle a connu des pics : 6,3 en mars 2008 et en octobre 2009 et 6,4 en novembre 2010. " Des effets de la crise, analyse Laurent Bernelas. On peut imaginer que cette période a ruiné les efforts de l'entreprise dans ce domaine. Mais aussi qu'il y a un réel écart entre un discours volontariste et les faits. On se préoccupe davantage de mesurer un climat social que d'engager des actions concrètes ". 6 reste toutefois une note, " qui laisse des séquelles durables " insiste Bernard Salengro. En clair, 67 % de cadres se disent stressés, parmi lesquels 30 % sont très stressés.

Une charge de travail encore élevée. Elle s'est alourdie pour 73 % des sondés contre 81 % en 2004. Un mieux donc. A noter que cette perception de la charge est plus aigüe avec l'âge : 84 % des plus de 50 ans, à cause de l'usure ou aussi d'une prise de recul plus grande. En revanche, 51 % des cadres estiment ne pas avoir assez de temps pour accomplir les tâches. Ils étaient 56 % en 2003. Ceci dit, les chiffres bruts ne disent pas tout. " Une charge de travail trop faible ou trop forte, mélangée à de la perte de sens ou à de la non-reconnaissance, c'est redoutable ", martèle Bernard Salengro.

Moyens-reconnaissance-soutien, rien ne bouge. C'est pourtant le triptyque clé pour agir sur le bien-être au travail, selon Laurent Bernelas. Là encore, les scores sont étales ou se gâtent un peu depuis huit ans : 67 % des interviewés estiment avoir les outils nécessaires pour travailler contre 73 % en 2003 ; 61% jugent avoir des objectifs réalistes, contre 63 % en 2003. En revanche, le résultat n'est pas si mauvais dés qu'on parle de reconnaissance : 49 % se sentent reconnus, contre 52 % en 2003. Mais on est sur un effet de résignation selon le statisticien. Quant aux isolés, ils sont un peu moins nombreux : 23 % des sondés ne sont pas soutenus par leurs collègues contre 25 % en 2003.

Moins de souffrance liée aux " contraintes émotionnelles ". Les facteurs de stress au travail ne changent guère, et l'enquête pointe plutôt des améliorations en un an. Dans la catégorie " relation ", 41 % des cadres se disent confrontés à des clients agressifs (- 2 points par rapport à mai 2010), 18 % vivent un harcèlement moral (- 4 points), 17 % subissent critiques et remontrances devant leurs collègues (- 3 points). Dans la catégorie " émotion ", 38 % se sentent mal jugés (- 7 points), 31 % ses sentent en concurrence avec leur collègues (- 5 points), 31 % craignent de perdre leur emploi (- 1 point).

L'entreprise renâcle à agir. Certes entre 2004 et 2011, la part des sondés qui estime que leur entreprise se soucie de stress a quasi doublé. Elle est passée de 14 % à 22 %. " Toutefois, relève l'expert d'Opinion Way, si les actions avaient été formidables, on aurait un " oui " plus clair. Or, on à 4 % de " oui tout à fait ", et 18 % de " oui plutôt ". Un arbre qui cache la forêt des problèmes. Malgré une prise de conscience, on peut douter de l'efficacité des actions. " On fait des rapports, des enquêtes bien-être, on discute. Mais les pouvoirs publics sont dans l'incantation. Et les accords signés sur le sujet restent bidons, fustige Bernard Salengro. Les DRH ne comprennent pas ce qui se passe. Ils ne voient la profondeur de la mutation sociale. Et renvoient tout ça sur l'insuffisance des personnes ".

(1) enquête réalisée par l'Institut OpinionWay entre les 3 et 9 mai auprès d'un échantillon représentatif de 1006 cadres actifs. A noter que les résultats mêlent les stress positif et négatif.