Rapport "Le travail et l'emploi dans vingt ans : 5 questions, 2 scénarios, 4 propositions"
Vincent Chriqui, Directeur général du Centre d'analyse
stratégique a rendu public, le rapport du Centre d'analyse
stratégique "Le travail et l'emploi dans vingt ans : 5
questions, 2 scénarios, 4 propositions", en présence d'Odile
Quentin, Présidente du groupe de travail et de Jean-Denis
Combrexelle, Directeur général du Travail.
Alors que la France connaît un chômage de masse depuis trente
ans et que se manifeste depuis quelques années, sinon une crise du
travail, du moins une forme de crise managériale au sein des
entreprises, ces deux phénomènes ont été encore accrus par la
crise financière, économique et sociale de 2008-2009.
Plus que jamais, l’emploi – depuis quelques décennies déjà
– et le travail – avec un regain depuis peu – sont au cœur des
préoccupations quotidiennes de nos concitoyens. Or, la “réflexion
stratégique” ou l’“expertise” n’ont pas vocation à être
coupées du monde, mais doivent être mises au service de l’intérêt
général, en réponse aux attentes de la société.
Le Centre d’analyse stratégique a donc souhaité analyser les
profondes mutations du monde du travail face à la persistance du
chômage de masse, face à l’accélération de la mondialisation,
face à la diffusion des nouvelles technologies (notamment celles de
l’information et de la communication), face aux évolutions
sociétales enfin. La crise peut avoir infléchi ou accéléré
certaines tendances structurelles, mais elles sont plus anciennes et,
pour beaucoup d’entre elles, sans doute amenées à se poursuivre.
Ce travail prospectif très large s’inscrit dans la lignée de
précédents rapports réalisés par le Commissariat général du
Plan (en 1975 déjà et, plus récemment, en 1995, avec le rapport du
groupe présidé par Jean Boissonnat).
Il ne s’agissait pas de réexaminer les précédents rapports
pour dire ce qui s’est “réalisé” ou non – ce n’est pas
l’objet de la prospective – ni de voir de quel scénario nous
nous sommes finalement rapprochés. Il s’agissait bien de produire
un nouveau travail de prospective en reprenant l’ensemble du sujet
au regard des préoccupations actuelles et des nouveaux outils
d’analyse disponibles.
Surtout, ce rapport a privilégié une approche volontairement
concrète du travail et de l’emploi, examinant notamment les
dimensions microéconomiques de ces questions, du point de vue du
salarié mais aussi de l’entreprise. Car au-delà de
l’interrogation sur le nombre d’emplois ou le niveau du chômage
dans vingt ans, l’analyse menée par le groupe de travail révèle
que la nature du travail elle-même est soumise à des inflexions
notables, qui concernent directement les individus.
Aussi le rapport s’est-il concentré sur des évolutions plus
qualitatives du travail et de l’emploi, mobilisant d’autres
travaux plus quantitatifs conduits récemment par le Centre d’analyse
stratégique (qu’il s’agisse du rapport d’avril 2011, France
2030 : cinq scénarios de croissance, élaboré avec la DG
Trésor, ou des travaux de prospective des métiers et des
qualifications).
De l’ensemble de ces travaux, il ressort un certain nombre de
tendances lourdes, sans doute amenées à se poursuivre, pour une
grande partie, dans les deux prochaines décennies. À l’horizon
2030, la France sera plus peuplée et plus âgée, mais continuera de
bénéficier d’une population active en progression. Malgré des
scénarios de croissance contrastés, les créations d’emplois
devraient demeurer dynamiques et le marché du travail sera plus
concurrentiel pour les entreprises, avec un niveau de chômage
structurel inférieur à ceux des vingt dernières années. Le
“travail” tel que nous le connaissons sera transformé, notamment
sous l’effet d’évolutions sociétales et technologiques
profondes : l’individualisation de la société, la diffusion
généralisée des technologies numériques, les préoccupations
éthiques et écologiques.
Parmi les différentes dynamiques à l’oeuvre identifiées par
le groupe de travail, le rapport met en particulier l’accent sur la
poursuite de l’éclatement des univers du travail, à la fois
temporels, spatiaux et organisationnels. Cela se traduit par
une
segmentation accrue “des mondes du travail” et une hétérogénéité croissante des situations mais aussi des attentes des salariés, des entreprises, des secteurs d’activité ou des territoires.
segmentation accrue “des mondes du travail” et une hétérogénéité croissante des situations mais aussi des attentes des salariés, des entreprises, des secteurs d’activité ou des territoires.
L’affaiblissement du lien de subordination dans l’univers
professionnel, une demande forte d’autonomie dans le travail et de
meilleure articulation entre vie privée et vie
professionnelle vont en outre profondément structurer les relations de travail et d’emploi. De même, les décennies qui sont devant nous seront celles de la poursuite de la diffusion des TIC dans les entreprises et de l’essor du travail nomade.
professionnelle vont en outre profondément structurer les relations de travail et d’emploi. De même, les décennies qui sont devant nous seront celles de la poursuite de la diffusion des TIC dans les entreprises et de l’essor du travail nomade.
Enfin, cette période sera marquée par la croissance et la
différenciation des mobilités professionnelles, dans un contexte de
flexibilité organisationnelle et temporelle grandissante.
Au total, les tendances qui se dégagent pourront apparaître
sombres pour les uns, rassurantes pour les autres. Chacun aura son
interprétation, mais on peut d’ores et déjà souligner trois
points :
- d’abord, la période considérée, s’agissant du regard rétrospectif, est celle des trente dernières années, parfois qualifiée de “Trente piteuses”. Or, même si la prospective ne consiste pas à simplement prolonger les tendances, elle aurait du mal à faire totalement abstraction de ces réalités passées. Malgré cela, ce rapport ne nous montre pas un avenir noir. Plus complexe sans doute, avec des schémas et des équilibres anciens, déjà mis à mal aujourd’hui et amenés à s’affaiblir encore, mais aussi ouvert sur de nouvelles perspectives ;
- ensuite, en prenant une période de référence plus courte, on peut noter des éléments positifs : la forte baisse du chômage avant la crise, à des niveaux inconnus depuis vingt-cinq ans ; une bonne résistance de l’emploi relativement à l’ampleur de la crise ; une amélioration des taux d’activité des seniors depuis plusieurs années ; une pause dans l’intensification du travail (intensification à mettre elle-même en perspective avec l’amélioration des conditions de travail sur le très long terme) ;
- enfin, s’agissant plus spécialement de la situation de
l’emploi, ce rapport dessine pour l’avenir une situation plus
favorable, quelles que soient les incertitudes sur le modèle de
croissance de l’après-crise. Et cela ne pourra qu’avoir un
impact favorable sur la qualité au travail.
Bien évidemment, à partir des tendances constatées, les
évolutions à venir peuvent prendre plusieurs chemins, qui ne
dépendent pas que de l’action de l’État, en France. Le rapport
a retenu deux scénarios possibles, tenant compte non seulement des
évolutions spécifiques du travail et de l’emploi, mais aussi de
facteurs de contexte, notamment au niveau international.
Ces deux scénarios, comme le travail d’analyse qui a servi à
leur construction, interrogent les politiques publiques à de
nombreux égards : comment l’État peut-il accompagner ou réguler
ces tendances pour favoriser l’emploi et la qualité du travail ?
Face aux critiques récurrentes, et parfois au constat d’impuissance,
de l’État “prescripteur”, quelles modalités d’intervention
sont désormais opportunes pour la puissance publique dans la sphère
travail-emploi ? Avec quel impact sur le rôle qu’ont également à
jouer les partenaires sociaux et la société civile ?
Par ailleurs, au-delà du strict champ travail-emploi, le panorama
proposé par le rapport est vaste et concerne l’ensemble des
politiques publiques, y compris les politiques industrielle, fiscale,
éducative ou la régulation internationale de la mondialisation.
Mais les enjeux mis en avant par le groupe de travail nourrissent
surtout des propositions pour faire évoluer les politiques de
l’emploi, pour favoriser et sécuriser la mobilité professionnelle
et améliorer la qualité du travail.
Le groupe s’est attaché à apporter des réponses concrètes à
ces enjeux, en tenant compte du contexte actuel (sortie de crise,
réduction des déficits publics), mais en ayant surtout le souci
d’anticiper et de préparer les évolutions identifiées pour
l’avenir, qui incitent à s’interroger sur la conception, la mise
en œuvre et le rôle des acteurs des politiques de l’emploi et du
travail.
Le présent rapport formule à cet égard des analyses et des
propositions qui vont enrichir la réflexion du Centre d’analyse
stratégique sur les politiques publiques et ont vocation à irriguer
une partie de ses travaux dans le champ du travail, de l’emploi et
de la formation professionnelle au cours des prochaines années.
Je tiens à remercier l’ensemble des membres du groupe de
travail, et en premier lieu sa présidente, Odile Quintin,
ainsi que l’équipe des rapporteurs du CAS et de l’IGAS, pilotée
par Hugues de Balathier-Lantage