
Olivier Torrès vient de créer Amarok, l'observatoire de la santé des dirigeants de PME. Une initiative très attendue, au moment où la crise éprouve particulièrement les petits patrons : stress, maladie, surmenage, suicide...
Quel est l'objectif d'Amarok ?
Olivier Torrès : Nous avons plus de statistiques sur la santé des baleines bleues que sur la santé des dirigeants de TPE et PME ! Il n'y a aucune obligation pour les indépendants de se présenter à la médecine du travail. En général, ils n'y vont pas. Ils préfèrent consulter leur médecin généraliste. D'où l'intérêt d'Amarok. Cet observatoire a été créé en janvier 2010 et dispose d'un bureau à Euromédecine, près des locaux de la médecine du travail de Montpellier.
En octobre 2010, nous présenterons un rapport sur la santé des patrons. Il sera réalisé à partir du questionnaire que nous lançons dès à présent pour recueillir les témoignages anonymes de 1 000 chefs d'entreprise, identifiés en collaboration avec les CCI, les chambres de métiers, le CJD (Centre des jeunes dirigeants)... Ce sera une première en France ! Par ailleurs, trois doctorantes travaillent à l'Amarok sur le burn-out (l'épuisement professionnel) et l'impact des problèmes financiers sur la santé du dirigeant.
La santé est-elle un sujet tabou dans l'entreprise ?
O.T. : En général, les chefs d'entreprise n'aiment pas parler de leurs problèmes de santé. Cela correspond à l'idéologie de notre époque qui fait l'apologie du leadership. Il faut être un battant, un gagnant qui éponge le stress de ses salariés. Cette posture narcissique de l'homme fort - ou de la femme forte - interdit toute forme de verbalisation de la souffrance. Le patron de PME est représenté comme celui qui domine ses salariés. Par voie de conséquence, il n'a pas droit à la souffrance. Le phénomène est amplifié par le fait qu'il y a des spécialistes de la souffrance des salariés, mais les cas d'étude concernent les employés des grandes entreprises.
D'un côté, nous avons des experts de la souffrance au travail qui sont sourds et, de l'autre, nous avons des chefs d'entreprise qui sont muets. Je suis le premier chercheur à avoir osé parler de la "souffrance patronale" et des journaux comme Libération ou L'Humanité n'ont pas hésité à m'interviewer.
Est-ce un signe de bonne santé de s'intéresser... à sa propre santé ?
O.T. : C'est un élément déterminant des bonnes pratiques de management. Un chef d'entreprise qui se préoccupe de sa santé sera attentif à celle de ses salariés et à leur bien-être. C'est la raison pour laquelle nous avons choisi le mot inuit amarok. Il signifie qu'une société doit protéger ceux qui la font vivre ; en l'occurrence les patrons des petites et moyennes entreprises. Rappelons qu'en France 97,6 % des entreprises sont des PME. Elles représentent deux emplois sur trois et contribuent à 60 % du PIB. Le capital santé du dirigeant est le premier capital immatériel de la PME. S'il tombe malade, c'est une catastrophe.
Ne minimise-t-on pas l'impact de la crise sur la santé des chefs d'entreprise ?
O.T. : Indéniablement. La crise est anxiogène pour les salariés, les cadres, les dirigeants. Les patrons de PME n'y échappent pas. Il y a davantage d'épuisement professionnel, de dépressions, voire de suicides chez les petits patrons. C'est la théorie des trois "D" : dépression, dépôt de bilan, divorce. A cela, le futur président du CJD, Michel Meunier, ajoute un quatrième "D" : le décès. Des drames se nouent dans l'anonymat le plus consternant. Un salarié met fin à ses jours à France Télécom, les médias en parlent.
Mais, quand un artisan se suicide, le journal local y consacre quelques lignes. A Frontignan, il y a quatre mois, un artisan électricien envoie sa femme négocier avec le banquier. Elle revient, elle le retrouve pendu. Ce drame a fait dix lignes dans le Midi libre. C'est considéré comme un fait divers alors que c'est un fait de société. A la fin de 2008, avant de se suicider, Joël Gamelin, patron des chantiers navals éponymes, a laissé sur son bureau ce mot révélateur : "Pardonnez-moi de ne pas avoir su sauver l'entreprise." Si sa fille n'avait pas fait de buzz, les journaux n'en auraient pas fait écho.
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