Trouvez le bonheur : enjôlez votre cerveau pour qu’il tende vers la gauche
Par
DANIEL GOLEMAN le 4
février, 2003
Il
Y A DE ÇA BEAUCOUP TROP d'années, pendant que j'étais toujours
étudiant en psychologie, j'ai dirigé une expérience pour évaluer
comment la méditation pourrait agir comme un antidote au stress. Mes
professeurs étaient incrédules, mes mesures étaient faibles et mes
sujets étaient surtout des étudiants de deuxième année de
collège. Pas étonnant, que mes résultats furent peu concluants.
Mais
aujourd'hui je me sens disculpé.
Certes,
au cours des années il y a eu des tas d'études qui ont regardé la
méditation, quelques-unes évoquant ses pouvoirs de soulager les
effets néfastes du stress. Mais le mois dernier seulement, j’ai vu
une étude définitive qui confirma mon hypothèse, jadis douteuse,
en révélant le mécanisme du cerveau qui pourrait démontrer la
capacité unique de la méditation à calmer.
Les
données ont émergé comme un parmi tant d’autres fruits
expérimentaux issus d'une collaboration improbable de recherche: le
Dalaï-lama, le chef religieux et politique Tibétain en exil et
quelques psychologues et neuroscientifiques chevronnés des
États-Unis. Les scientifiques et le Dalaï-lama se sont rencontrés
pendant cinq jours à Dharamsala, en Inde, en mars de l’an 2000,
pour discuter comment les gens pourraient mieux contrôler leurs
émotions destructives.
Un
de mes héros personnels dans ce rapprochement entre la science
moderne et la sagesse ancienne était le Dr Richard Davidson, le
directeur du Laboratory for Affective Neuroscience de l’Université
du Wisconsin. Dans une recherche récente en utilisant l’I.R.M
fonctionnel et l'analyse avancée d'EEG, le Dr Davidson a répertorié
les points précis des humeurs dans le cerveau.
Les
images du I.R.M. révèlent que quand les gens sont bouleversés
émotionnellement— inquiets, furieux, déprimés — les endroits
du cerveau les plus actifs sont des circuits qui convergent sur
l'amygdale (une partie des centres émotionnels du cerveau) et sur le
cortex préfrontal droit, (une région du cerveau essentielle pour
l'hyper vigilance caractéristique des gens sous tension). En
contrepartie, quand les gens sont dans des humeurs positives —
optimistes, exaltés et stimulés — ces endroits sont au repos, et
l'activité accrue se situe dans le cortex préfrontal gauche.
Effectivement,
le Dr Davidson a découvert ce qu'il croit être une façon rapide de
répertorier la gamme d'humeurs typiques chez une personne, en
étudiant l'activité dans les régions préfrontales droite et
gauche. Cette méthode aide à prédire les humeurs quotidiennes avec
une exactitude surprenante. Plus le ratio indique vers la droite,
plus une personne a tendance à être malheureuse ou bouleversée, en
contrepartie, plus l’activité tend vers la gauche, plus la
personne est heureuse et exaltée.
En
prenant des lectures sur des centaines des personnes, le Dr Davidson
a établi une courbe de distribution normale, dont la plupart des
échantillons se situait au milieu et avait un mélange de bonnes et
de mauvaises humeurs. Les personnes situées le plus à droite
étaient relativement peu nombreuses et sont plutôt susceptibles de
souffrir d’un désordre d'anxiété ou de dépression clinique au
cours de leur vie. Pour ces fortunés peu nombreux qui se situaient
le plus à gauche, les humeurs d’inquiétudes seraient rares et le
temps de récupération, rapide.
Ceci
peut expliquer d'autres sortes de données qui suggèrent un endroit
établi biologiquement pour nos diverses émotions. Par exemple, on a
découvert qu’aussi bien pour les gens fortunés qui ont gagné à
la loterie que pour ces âmes malchanceuses qui sont devenues
paraplégiques suite à un accident, que leurs humeurs quotidiennes
étaient redevenues les mêmes qu’avant les événements marquants
seulement un an plus tard, à peu de variation près.
Par
hasard, le Dr Davidson a eu l'opportunité d'évaluer le rapport
gauche-droite d’un moine Tibétain âgé, qui se situait à la plus
extrême gauche des 175 personnes testées jusque là.
Le
Dr. Davidson annonça cette découverte remarquable lors d’une
rencontre entre le Dalaï-lama et les scientifiques en Inde. Mais la
découverte, quoiqu’intrigante, souleva plus de questions que de
réponses.
Était-ce
seulement une excentricité, ou un trait particulier des moines, ces
Bouddhistes Tibétains qui s’apparentent à des prêtres ou des
enseignants spirituels? Ou y avait-il quelque chose de particulier au
sujet de leur entrainement qui pourrait agir sur leur biologie et
leur donner le bonheur perpétuel ? Et si c’était le cas,
s'interrogea le Dalaï-lama, serait-il possible d’isoler cet
élément du contexte religieux afin de le partager pour le bien de
tous ?
Une
réponse hypothétique à cette dernière question est venue d'une
étude que le Dr Davidson a faite en collaboration avec le Dr Jon
Kabat-Zinn, fondateur de la Mindfulness-Based Stress Reduction Clinic
à l’Université du Massachusetts Medical School, Worcester.
Cette
clinique enseigne le contrôle mental aux patients atteints de
maladies chroniques de toutes sortes, pour les aider à mieux prendre
en main leur pathologie. Dans un article accepté pour la publication
dans le journal Psychosomatic Medecine les Drs. Davidson et
Kabat-Zinn signalent les effets de s'entraîner à la «méditation
du contrôle mental», une méthode extraite à l’origine du
Bouddhisme et maintenant largement enseignée aux patients dans des
hôpitaux et des cliniques partout aux États-Unis, ainsi que dans
beaucoup d'autres pays.
Le
Dr Kabat-Zinn a enseigné le contrôle mental à des travailleurs
dans une société de biotechnologie à haut rendement pendant
environ trois heures par semaine pour plus de deux mois. Un groupe
comparatif, formé de volontaires de la compagnie, a reçu la
formation plus tard, bien qu'eux aussi ont été évalués avant et
après l’enseignement du Dr Davidson et de ses collègues.
Les
résultats étaient de bon augure pour les débutants, qui ne
recevront jamais la formation de moines bouddhistes. Avant
l'entraînement au contrôle mental, les travailleurs s’inclinaient
en moyenne vers la droite dans le répertoire des humeurs. En même
temps, ils se plaignaient de sentiments de stress. Néanmoins, après
l'entraînement, pour la moyenne des gens, le répertoire d'humeurs
s'était déplacé à gauche, vers la zone positive. Simultanément,
leurs humeurs s’étaient améliorées; ils signalaient le sentiment
d’être à nouveau engagés dans leur travail, plus stimulés et
moins anxieux.
En
bref, les résultats suggèrent que le répertoire d’humeurs peut
se déplacer, avec le bon entraînement. Dans la méditation par le
contrôle mental, les gens apprennent à prendre conscience de leurs
humeurs et de leurs pensées et à éliminer celles qui pourraient
les orienter vers la détresse. Le Dr Davidson émet l’hypothèse
que l’entraînement arrive à renforcer une matrice de neurones
dans le cortex préfrontal gauche qui empêche les messages
producteurs d’émotions négatives provenant de l'amygdale.
Le
Dr Davidson annonça qu’un autre avantage pour les travailleurs,
était que le contrôle mental a semblé améliorer la résistance de
leurs systèmes immunitaires, mesuré par la quantité d'anticorps
contre la grippe dans leur sang après avoir reçu une injection
antigrippale.
Selon
le Dr Davidson, d'autres études suggèrent que si les gens dans deux
groupes expérimentaux sont exposés au virus de la grippe, ceux-là
qui ont appris la technique du contrôle mental connaîtront des
symptômes moins sévères. Plus le répertoire d’humeurs se
situait à gauche, plus la mesure du système immunitaire était
élevée.
Le
but de l'entraînement au contrôle mental est d’apprendre à
prendre conscience de nos sensations et pensées perpétuelles, à
travers la méditation en position assise que dans des activités
comme le yoga.
Maintenant,
avec la bénédiction du Dalaï-lama, on en est venu à étudier un
petit groupe de moines hautement entraînés. Ils ont tous passé au
moins trois ans en retraite méditative solitaire. Avec autant
d’entraînement, on les place dans la catégorie des maîtres comme
pour d’autres disciplines telles que les plongeurs olympiques et
les violonistes de concert.
Les
conclusions préliminaires d'autres laboratoires suggèrent qu'un tel
entraînement intense de l'esprit peut faire toute une différence
dans le potentiel humain. Certaines des données plus captivantes
viennent du travail d'un autre scientifique, le Dr Paul Ekman,
directeur du Human Interaction Laboratory à l'Université de
Californie, San Francisco, qui étudie l'expression faciale des
émotions. Le Dr Ekman a aussi participé aux cinq jours de dialogue
avec le Dalaï-lama.
Le
Dr Ekman a développé une façon de mesurer comment une personne
peut interpréter les humeurs d’une autre personne à partir
d’images télégraphiées, comportant des variations rapides et
minimes dans les muscles faciaux.
Tel
que décrit par le Dr Ekman dans les "Emotions Revealed”
publié par Times Books, ces micro expressions — les actions
ultrarapides du visage, quelques-unes n’apparaissant pour pas plus
d'un vingtième de seconde — mettent nos sentiments à nu. Nous
n’en sommes pas conscients; ces expressions animent nos visages
spontanément et involontairement et ainsi révèlent, pour ceux qui
peuvent les lire, l’émotion entièrement non censurée du moment.
Heureusement,
peut-être, il y a une attrape : presque personne ne peut interpréter
ces moments. Bien que le livre du Dr Ekman explique comment les gens
peuvent apprendre à découvrir ces expressions en quelques heures
seulement, avec le bon entraînement, ses tests démontrent que la
plupart des gens — incluant les juges, les policiers et les
psychothérapeutes — ne sont pas plus aptes à lire les micros
expressions que quelqu'un qui fait des suppositions au hasard.
Néanmoins,
quand le Dr Ekman a invité deux moines Tibétains dans le
laboratoire, l’un d’eux a réussi à identifier parfaitement
trois des six émotions testées et l'autre quatre. Et un américain,
enseignant de la méditation Bouddhiste a parfaitement identifié
tous les six, ce fait étant considéré tout à fait rare.
Normalement, une supposition au hasard produira une réponse correcte
sur six.
De
telles conclusions, avec les incitations du Dalaï-lama, ont inspiré
le Dr Ekman à concevoir un programme appelé “Cultivating
Emotional Balance,” qui combine des méthodes extraites du
Bouddhisme, comme le contrôle mental, avec l’enseignement
synergétique provenant de la psychologie moderne, comme la lecture
des micros expressions et qui cherche à aider les gens à mieux
gérer leurs émotions et leurs relations.
Un
projet pilote a débuté le mois dernier avec des enseignants
d'écoles primaires dans la région de la Baie de San Francisco, sous
la direction de la Dr Margaret Kemeny, professeure dans le domaine de
la médecine du comportement à l'Université de Californie, San
Francisco. Elle espère confirmer les conclusions du Dr Davidson
concernant l’effet de la pratique du contrôle mental sur le
système immunitaire, tout en ajoutant d'autres mesures des capacités
émotionnelles et sociales, dans un essai contrôlé avec 120
infirmiers et enseignants.
Finalement,
le momentum scientifique de ces poussées initiales a intrigué
d'autres investigateurs. Sous les auspices du Mind and Life
Institute, qui organise la série de rencontres entre le Dalaï-lama
et les scientifiques, il y aura une table-ronde au Massachusetts
Institute of Technology les 13 et 14 septembre. Cette fois le
Dalaï-lama se réunira avec un groupe de chercheurs
pluridisciplinaires pour discuter d’autres possibilités de
recherche. Bien qu'ouvert au public, la moitié des places sera
réservée aux étudiants diplômés et chercheurs théoriques. (Plus
de renseignements sont disponibles au www. InvestigatingTheMind.org.)
En
ce qui me concerne, je prends tout ça à cœur. Pratiquant
occasionnel de la méditation depuis mes études supérieures, je
suis devenu assidu à nouveau. Le mois suivant, ma femme et moi nous
dirigeons dans un endroit chaud pendant deux ou trois semaines pour
participer à une retraite de méditation. Je ne pourrai peut-être
jamais me mesurer à ce moine sublime, mais j'aurai du plaisir à
essayer.
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